Le vieil homme se leva à la lueur de l’aube et un peu à cause de la douleur qu’il éprouvait dans le bas du dos. Ces dernières semaines avaient été éprouvantes pour lui. Il prit peu à peu conscience du monde qui l’entourait et senti la douce présence de Cythère, sa tendre, lovée contre lui. Elle était à sa place, comme ces cinquante dernières années passées à ses côtés. Son amour avait été la flamme à laquelle il s’accrochait depuis ce jour là. Cinquante longues années à régner sur un peuple qui le haïssait, mais dont la peur de ses exploits passés maintenait à distance de sa haute tour. Cinquante longues années à maintenir le fragile équilibre qu’il avait créé par le prix du sang et des larmes.
Il se leva doucement, prenant soin de ne pas réveiller son aimée. Elle l’avait veillée tard et était toujours vêtue de ses vêtements d’apparat, elle avait besoin de se reposer, et lui n’avait pas besoin d’être materné. Il se dirigea vers la fenêtre ouverte et huma l’air frais en contemplant le soleil levant. La vue était magique, et il pouvait apercevoir de loin les magnifiques étendues d’eau de l’océan. Il n’aurait échangé ce spectacle pour rien au monde. Il avait apprit à vivre avec le fait d’être détesté et craint. Au final, ce n’était pas si mal.
Il retint un toussotement, il était trop tôt pour ça. On lui donnait encore quelques semaines, mais les pertes de sang dans sa salive lui faisaient craindre un laps de temps bien plus court. Il soupira, le vague à l’âme, retraçant sa vie depuis qu’il avait fait cesser le chaos, et regardant ses mains comme pour vérifier que le sang qu’elles contenaient n’allait pas se mettre à inonder la pièce pour le noyer.
Une journée de plus, une journée de moins.
Il sentit une sensation douce et chaude dans son dos et reconnut aussitôt la peau de la Thaumaturge dans son dos. Elle ne portait visiblement plus rien, et il profita de cette sensation, une des rares pouvant encore éveiller ses sens. Elle l’attira sans mot dire vers le lit pour lui faire l’amour une dernière fois. C’était toujours une dernière fois. Il accepta sans broncher l’invitation et se laissa aller aux plaisirs des sens avant de se rendormir doucement dans les bras de son refuge. Une journée de moins en plus…
Son sommeil fut agité plus que de raison. Il voyait un ange armé d’une gigantesque lance transpercer un hybride Oliphant immense. Tout autour d’eux n’était que destruction, chaos. Il pouvait percevoir dans ses songes une odeur de chair carbonisée et de sang. Lui était assis devant le spectacle, incapable de bouger, comme pris au piège de la faiblesse subite de son propre corps. Le monde sombrait alors qu’il se retrouvait incapable de bouger le moindre doigt. Douce ironie, manichéisme amer et intégrisme avide, ce n’était là que le reflet d’un passé lointain et d’un futur proche. Soudain des ombres s’étiraient en longs fils serpentant lentement vers lui. La peur le prenait et il se sentait comme pris au piège par ces tentacules d’obscurité qui l’encerclaient. Certaines d’entre elles parvenaient à lui et s’enroulaient autours de sa gorge tendis que le brouhaha des armes qui s’entrechoquent hurlait à ses oreilles comme un ouragan.
Le Haut Seigneur se réveilla alors en hurlant, couvert de sueur. Haletant, il observa la nuit de nouveau présente autours de lui du se concentrer longtemps pour savoir s’il ne rêvait pas de nouveau.
« Du calme… Je suis là… »
« Je… Désolé. »
« Pas de quoi, répondit doucement la femme, tu as dormi toute la journée. J’ai même cru que tu ne respirais plus à un moment. Je m’apprêtais à… Enfin, tu sais. »
A la lueur de la lune qui pénétrait par la fenêtre, il pouvait voir les traits tirés de la jeune femme et ses yeux encore rougis par des larme.
« Pas encore. Je ne peux pas encore partir. »
« On va trouver. Tu es un immortel, tu n’es pas sensé être affligé par la maladie. Ca n’a aucun sens, je… »
Il la fit taire en posant doucement sa main sur sa joue. Elle répétait régulièrement ces non-sens comme si le fait de nier la réalité allait la faire disparaitre.
« Je n’étais pas non plus sensé devenir ce que je suis maintenant. Tout a un prix, Ô ma Cythère. »
Il reposa sa tête sur son oreiller, il se sentait épuisé alors qu’il venait de passer une journée entière à dormir. Le sommeil s’empara de lui presque instantanément. Une journée de moins en plus.
